Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/409

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son habitude, à marcher de long en large, sortit de sa dolente rêverie, pour s’écrier :

— Ah ! ce Sanier, quelle besogne immonde ! Il n’y aura bientôt plus ni une chose, ni un être, sur lequel il n’aura pas vomi. On le croit avec soi, et l’on est éclaboussé… N’a-t-il pas raconté hier que, lorsqu’on a arrêté Salvat, au Bois de Boulogne, on avait trouvé sur lui des fausses clés et des porte-monnaie, volés à des promeneurs !… Salvat toujours ! Salvat, le sujet inépuisable d’articles, le nom imprimé qui suffit à tripler la vente ! Salvat, l’heureuse diversion pour les vendus des Chemins de fer africains ! Salvat, le champ de bataille où se défont et se font les ministères ! tous l’exploitent et tous l’égorgent.

Ce fut, cette nuit-là, le cri de révolte et de pitié sur lequel les amis se séparèrent. Pierre, assis contre le vitrage, ouvert sur l’immensité braisillante de Paris, avait écouté pendant des heures, sans desserrer les lèvres. Il était en proie à son doute, à sa lutte intérieure, et aucune solution, aucun apaisement, ne lui était encore apporté par tant d’opinions contradictoires, qui ne tombaient d’accord que pour condamner le vieux monde à disparaître, sans pouvoir rebâtir, d’un même effort fraternel, le monde futur de justice et de vérité. Et le Paris nocturne, semé d’étoiles, étincelant comme un ciel d’été, restait lui aussi la grande énigme, le chaos noir, la cendre obscure toute pétillante d’étincelles, dont la prochaine aurore devait sortir. Quel avenir s’enfantait là pour la terre entière, quelle parole décisive de salut et de bonheur allait, avec le jour, s’envoler aux quatre points de l’horizon ?

Comme Pierre, enfin, partait à son tour, Guillaume lui posa les deux mains sur les épaules, le regarda longuement, attendri profondément dans sa colère.

— Ah ! mon pauvre petit, tu souffres, toi aussi, je le