Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III


Deux jours plus tard, Pierre s’accoutumait à son nouveau costume, n’y pensait plus, lorsque, venu le matin a Montmartre, il rencontra l’abbé Rose devant la basilique du Sacré-Cœur.

Le vieux prêtre, saisi d’abord, ayant peine à le reconnaître ainsi vêtu, lui prit les deux mains, le regarda longuement. Puis, les yeux inondés de larmes :

— Ô mon fils, vous voilà tombé à l’affreuse misère que je redoutais pour vous ! Je ne vous en parlais pas, mais j’avais bien senti que Dieu s’était retiré de votre âme… Ah ! rien ne pouvait m’atteindre au cœur d’une plus cruelle blessure !

Tremblant, il l’emmenait à l’écart, comme pour le soustraire au scandale des quelques rares passants ; et ses forces défaillirent, il se laissa tomber sur un tas de briques, oublié là, dans l’herbe, au fond d’un chantier.

Cette grande douleur réelle de son vieil ami, si tendre, avait bouleversé Pierre, plus que ne l’auraient fait de furieux reproches et des anathèmes. Des larmes étaient aussi montées à ses yeux, dans la souffrance brusque, imprévue, d’une telle rencontre, à laquelle il aurait pourtant dû s’attendre. C’était un arrachement encore, et où coulait le meilleur de leur sang, que sa rupture avec le saint homme, dont il avait si longtemps partagé le rêve charitable, l’espoir du salut du monde par la bonté. Entre eux, il y avait eu tant de divines illusions, tant de luttes pour le mieux, tant de renoncements et tant de pardons mis en commun, dans le désir de hâter l’heureuse mois-