Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/413

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son future ! Et voilà qu’ils se séparaient, que lui, jeune, retournait à la vie, abandonnant le vieil homme seul, en son chemin de songe et de vaine attente !

Il lui avait pris les mains à son tour, il se lamentait.

— Ah ! mon ami, mon père, vous êtes bien le seul regret que je laisse dans l’affreux tourment d’où je sors. Je croyais en être guéri, et mon pauvre cœur vient de se fendre, rien qu’à vous rencontrer… Je vous en prie, ne pleurez pas sur moi, ne me reprochez pas ce que j’ai fait. C’était nécessaire, vous-même m’auriez dit, si je vous avais consulté, qu’il vaut mieux ne plus être prêtre que d’être un prêtre sans foi et sans honneur.

— Oui, oui, répéta doucement l’abbé Rose, vous n’aviez plus la foi, je m’en doutais, et votre rigidité, votre grande sainteté, où je devinais tant de désespoir, m’inquiétait beaucoup. Que d’heures j’ai passées à vous calmer, autrefois ! Il faut que vous m’écoutiez encore, il faut que je vous sauve… Je ne suis pas, hélas ! un théologien assez savant pour discuter, pour vous ramener, au nom des textes et des dogmes. Mais, au nom de la charité, mon enfant, au nom de la charité seule, réfléchissez, reprenez votre tâche de consolation et d’espérance.

Pierre, qui s’était assis près de lui, dans ce coin désert, au pied même de la basilique, se passionna.

— La charité ! la charité ! c’est la certitude de son néant et de son inévitable banqueroute qui a fini de tuer le prêtre en moi… Comment pouvez-vous croire que donner suffit, lorsque votre vie entière s’est épuisée à donner, sans que vous ayez récolté autre chose, pour les autres et pour vous, que l’injuste misère perpétuée, aggravée même, sans jamais pouvoir fixer le jour où l’abomination cessera ?… La récompense après la mort, n’est-ce pas ? la justice au paradis. Ah ! ce n’est pas de la justice, cela ! c’est une duperie dont le monde souffre depuis des siècles.