Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/436

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Hier encore, elle était toute mal à l’aise, énervée, silencieuse. Nous avons passé une mauvaise journée.

Et il le regardait bien en face, de ses yeux de franchise et de loyauté, où le soupçon né en lui et qu’il ne voulait pas dire, apparaissait clairement.

Bouleversé par l’émoi de Marie, épouvanté à l’idée de se trahir, Pierre réussit à mentir cette fois, en répondant d’une voix tranquille :

— Oui, elle n’était déjà pas très bien, le jour où nous sommes allés à bicyclette… Moi, je t’assure que j’ai eu beaucoup d’occupation. J’allais me lever, pour reprendre chez vous mes habitudes.

Un instant encore, Guillaume le regarda ; puis, convaincu sans doute, ou remettant à plus tard de savoir la vérité, il causa affectueusement d’autre chose ; et, dans cette tendresse fraternelle, si vive chez lui, il gardait pourtant un tel frisson de détresse pressentie, de douleur inavouée, peut-être inconsciente, que son frère le questionna à son tour.

— Et toi, est-ce que tu es malade ? Tu ne me parais pas dans ta belle sérénité ordinaire.

— Moi ? oh ! non, non, je ne suis pas malade… Seulement, ma belle sérénité me paraît compromise. C’est cette affaire de Salvat qui me jette hors de moi, tu le sais bien. Ils me rendront enragé, avec leur monstrueuse injustice, à écraser tous ce misérable.

Dès lors, il ne parla plus que de Salvat, s’y entêta, s’y passionna, comme désireux de trouver dans l’affaire du jour, une explication à toutes ses révoltes, à toutes ses souffrances. En déjeunant, vers dix heures, chez un petit restaurateur du boulevard du Palais, il dit combien il était touché du silence gardé par Salvat, et sur la nature de la poudre employée pour la fabrication de la bombe, et sur les quelques journées de travail faites chez lui. C’était à ce silence qu’il devait de n’avoir pas été inquiété