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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/442

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ment aidé. Et de quel cœur Fonsègue avait fait achever, dans le Globe, son vieil ami Barroux devenu encombrant ! Tous les matins, depuis un mois, un article y paraissait, exécutant Barroux, détruisant Vignon, préparant la rentrée du sauveur qu’on ne nommait pas. Puis, c’étaient dans l’ombre les millions de Duvillard qui guerroyaient, les créatures du baron, si nombreuses, marchant comme une armée au bon combat. Sans compter Dutheil en personne, fifre et tambour, et Chaigneux lui-même, résigné aux basses besognes dont personne ne voulait se charger. Et voilà comment le triomphateur Monferrand allait débuter à coup sûr par étouffer la scandaleuse et gênante affaire des Chemins de fer africains, en faisant nommer une commission d’enquête qui l’enterrerait.

Dutheil avait pris un air d’importance.

— Que voulez-vous ? mon cher, à certaines heures graves, lorsque la société tombe en péril, il y a des hommes forts, des hommes de gouvernement qui s’imposent… Monferrand n’avait pas besoin de notre amitié, la situation réclamait impérieusement sa présence au pouvoir. Il est la seule poigne qui puisse nous sauver.

— Je sais, dit Massot goguenard. On m’a même affirmé que, si l’on a tout bâclé, de façon que les décrets parussent ce matin, c’est pour rassurer le jury et la magistrature, pour leur donner le courage de prononcer une condamnation à mort, ce soir, du moment que Monferrand sera là, derrière eux, avec sa poigne.

— Mais oui, mon cher, une condamnation à mort est aujourd’hui de salut public, et il faut bien que ceux qui sont chargés d’assurer notre sécurité sociale, n’ignorent pas que le ministère est avec eux et saura les protéger au besoin.

Un rire aimable de la princesse les interrompit.

— Oh ! voyez donc là-bas, n’est-ce pas Silviane qui est venue s’asseoir à côté de monsieur Fonsègue ?