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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/443

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— Le ministère Silviane, murmura Massot plaisamment. Ah ! on ne va pas s’embêter chez Dauvergne, s’il se met bien avec les petites actrices !

Guillaume et Pierre écoutaient, entendaient, sans même le vouloir. Et, chez le premier surtout, ces commérages mondains, ces indiscrétions politiques causaient un affreux serrement de cœur. Salvat condamné à mort, avant même qu’il eût comparu ! Salvat payant les fautes de tous, n’étant plus qu’une occasion propice pour le triomphe d’une bande de jouisseurs et d’ambitieux ! Puis, par-dessous, quel cloaque, toute une pourriture sociale, l’argent corrupteur, la famille tombée aux drames immondes, la politique réduite à une lutte traîtresse de personnes, le pouvoir devenu la proie des habiles et des impudents ! Est-ce que tout n’allait pas crouler ? Est-ce que cette audience solennelle de justice humaine n’était pas une parodie dérisoire, puisqu’il n’y avait là que des heureux, des privilégiés, défendant l’édifice en ruine qui les abritait, déployant toute l’énorme force dont ils disposaient encore, pour écraser une mouche, le pauvre diable, de cerveau incertain, amené là par son rêve violent et fumeux d’une justice autre, supérieure et vengeresse ?

Mais il y eut un frémissement, midi sonnait, le jury faisait son entrée, s’installait à son banc, dans une débandade de troupeau. Des figures bonasses, de gros hommes endimanchés, quelques maigres, chafouins, aux yeux vifs, des barbes et des calvities ; et le tout gris, effacé, presque indistinct au fond de l’ombre qui noyait ce côté de la salle. Puis, ce fut la Cour, M. de Larombardière, un des vice-présidents de la Cour d’appel, qui assumait le périlleux honneur de présider ce jour-là, en outrant encore la majesté de sa longue face mince et toute blanche, d’aspect d’autant plus austère, qu’il était flanqué de deux assesseurs petits, rougeauds, l’un brun,