Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre blond. Déjà, au siège du ministère public, M. Lehmann, un des avocats généraux les plus répandus, les plus adroits, un Alsacien aux épaules larges, aux yeux de ruse, s’était assis, ce qui prouvait l’importance considérable qu’on donnait à l’affaire. Et, enfin, Salvat fut introduit, dans le gros bruit de bottes des gendarmes, soulevant une curiosité si passionnée, que toute la salle se mit debout. Il avait encore la casquette et le grand paletot flottant que Victor lui avait procurés, et ce fut une surprise pour tous de lui voir ce grand visage décharné, doux et triste, aux rares cheveux roux qui grisonnaient, aux beaux yeux bleus de tendresse, rêveurs et brûlants. Il jeta un regard sur le public, sourit à quelqu’un qu’il reconnaissait, Victor sans doute, peut-être Guillaume. Puis, il ne bougea plus.

Le président attendit le silence, et ce furent alors toutes les formalités des débuts d’audience. Ensuite eut lieu l’interminable lecture de l’acte d’accusation, faite par un huissier, d’une voix aiguë. L’aspect de la salle avait changé, on écoutait avec une lassitude un peu impatiente ; car, depuis des semaines, les journaux contaient cette histoire. Maintenant, plus une place n’était vide, à peine restait-il devant le tribunal l’étroit espace nécessaire pour l’audition des témoins. Cet entassement prodigieux se bariolait des toilettes claires des dames et des robes noires des avocats, parmi lesquelles les trois robes rouges des juges disparaissaient, sur l’estrade, si basse, qu’on apercevait à peine, au-dessus des autres têtes, la face longue du président. Beaucoup s’intéressaient au jury, tâchaient de déchiffrer ces visages quelconques, envahis d’ombre. D’autres ne quittaient pas des yeux l’accusé, s’étonnaient de son air de fatigue et d’indifférence, à ce point qu’il avait à peine répondu aux questions que lui posait à demi-voix son avocat, un jeune homme de talent, disait-on, l’air éveillé, frémissant, qui attendait nerveusement