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Salvat, condamné, s’était redressé brusquement. Et, comme les gardes l’emmenaient, il lança d’une voix retentissante, le cri :

— Vive l’anarchie !

Ce cri ne fâcha personne. Le public s’écoulait au milieu d’une sorte de malaise, comme si l’excessive fatigue avait usé les passions. Vraiment, le spectacle était trop long, trop brisant. Et cela faisait du bien de respirer l’air, en sortant de ce cauchemar.

Dans la salle des Pas-Perdus, Guillaume et Pierre passèrent près de Dutheil et de la princesse, que le général de Bozonnet, en train de causer avec Fonsègue, venait d’arrêter. Tous quatre parlaient très haut, se plaignaient de la chaleur, de la faim, tombaient d’accord, en somme, que l’affaire n’avait pas été très intéressante. Du reste, tout allait bien qui finissait bien. Comme le disait Fonsègue, la condamnation à mort de Salvat était une nécessité politique et sociale.

Sur le Pont-Neuf, Guillaume s’accouda un instant, pendant que Pierre, debout, regardait, lui aussi, la grande coulée grise de la Seine, qu’incendiaient les reflets des premiers becs de gaz. Un souffle frais montait du fleuve, c’était l’heure délicieuse où la nuit douce envahit Paris, qui se délasse. Et, sans parler, les deux frères respiraient ce soulagement, ce réconfort. Pierre retrouvait sa blessure, la promesse qu’il avait dû faire de retourner à Montmartre, malgré le tourment qui l’y attendait. Guillaume, lui, sentait renaître son soupçon, cette inquiétude d’avoir vu Marie enfiévrée et changée par un sentiment nouveau, ignoré d’elle-même. Était-ce donc, pour ces deux hommes qui s’adoraient, des souffrances encore, toujours des luttes, des obstacles au bonheur ? Et leurs êtres se remettaient à saigner déjà, sous la tristesse humaine dont les avait comblés le spectacle de la justice, un misérable payant de sa tête les crimes de tous.