Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/473

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Alors, il se retrouva, il se défendit avec véhémence.

— J’aime Marie, c’est vrai, et je sentais bien que je ne pouvais le cacher, que tu t’en apercevais toi-même… Mais je n’avais pas à te le dire, j’étais sûr de moi, je me serais enfui, avant qu’un seul mot sortît de mes lèvres. Seul, j’en souffrais, oh ! tu ne peux savoir de quelle torture, et il est même cruel à toi de me parler de cela, car me voici maintenant forcé de partir… Déjà, j’en ai fait le projet à plusieurs reprises. Si je revenais, c’était par faiblesse sans doute, mais c’était aussi par affection pour vous tous. Qu’importait ma présence ! Marie ne courait aucun risque. Elle ne m’aime pas.

Nettement, Guillaume dit :

— Marie t’aime… Je l’ai confessée hier, elle a dû m’avouer qu’elle t’aimait.

Bouleversé, Pierre l’avait saisi aux épaules, le regardait dans les yeux.

— Oh ! frère, frère, que dis-tu ? pourquoi dis-tu là une chose qui serait pour nous tous un affreux malheur ?… J’en aurais moins de joie que de chagrin, de cet amour qui a été mon rêve à jamais irréalisable ; car je ne veux pas que tu souffres, toi… Marie est tienne. Elle m’est sacrée comme une sœur. S’il n’y a que ma folie qui puisse vous séparer, elle passera, je saurai la vaincre.

— Marie t’aime, répéta Guillaume de son air doux et têtu. Je ne te reproche rien, je sais parfaitement que tu as lutté, que tu ne t’es pas trahi près d’elle, ni par un mot, ni même par un regard… Elle-même, hier, ignorait encore qu’elle t’aimait, et j’ai dû lui ouvrir les yeux. Que veux-tu ? c’est simplement un fait que je constate : elle t’aime.

Cette fois, Pierre, frémissant, eut un geste à la fois de terreur et d’exaltation, comme s’il lui tombait du ciel quelque divin prodige, longtemps souhaité, et dont la venue l’anéantissait.