Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/476

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savant. Tandis qu’avec toi, qui es jeune, c’est l’avenir, c’est l’enfant, la vie féconde et heureuse.

Pierre fut agité d’un frisson, repris de cette peur de l’impuissance qu’il avait toujours eue. Est-ce que la prêtrise ne l’avait pas retranché des vivants ? Est-ce que sa virilité d’homme ne s’était pas flétrie, dans sa longue chasteté ?

— La vie féconde et heureuse, répéta-t-il tout bas, en suis-je digne, en suis-je capable encore ?… Ah ! si tu savais mon trouble et ma peine, à l’idée que je ne la mérite peut-être pas, cette adorable créature, dont tu me fais si tendrement le royal cadeau ! Tu vaux mieux que moi, tu aurais été pour elle un plus large cœur, un cerveau plus solide, peut-être un homme plus réellement jeune et puissant… Il en est temps encore, frère, ne me la donne pas, garde-la pour toi, si elle doit être avec toi plus heureuse, et plus féconde, et plus souverainement aimée… Réfléchis, moi je suis défaillant de doute. Son bonheur, à elle, seul importe. Qu’elle soit à celui qui l’aimera le mieux.

Une émotion indicible s’était emparée des deux hommes. Alors, en entendant ces paroles brisées, cet amour qui tremblait de n’être pas assez fort, la volonté de Guillaume, un instant, vacilla. Son cœur se déchirait affreusement, il laissa échapper une plainte désespérée, balbutiante :

— Ah ! Marie que j’aime tant, Marie que j’aurais faite si heureuse !

Éperdument Pierre se souleva, cria :

— Tu vois bien que tu l’adores toujours et que tu ne peux renoncer à elle… Laisse-moi partir ! laisse-moi partir !

Mais, déjà, Guillaume le tenait à bras-le-corps, le serrait de toute sa fraternité, dont son renoncement augmentait encore la passion.