Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/477

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— Reste !… Ce n’est pas moi qui viens de parler, c’est l’autre, celui qui va mourir, celui qui est mort. Je te jure, par notre mère, par notre père, que mon sacrifice est consommé, et que je ne puis plus souffrir que d’elle et de toi, si vous me refusez de me devoir le bonheur.

Et les deux hommes en larmes s’étreignirent, restèrent aux bras l’un de l’autre. Déjà, ils avaient eu de ces étreintes, mais jamais leurs deux cœurs ne s’étaient confondus à ce point. C’était l’aîné qui donnait de sa vie au plus jeune, et c’était le plus jeune qui lui rendait, de la sienne, tout ce qu’il y pouvait trouver de pur et de passionnément tendre. L’instant leur parut infini et délicieux. Toute la misère, toute la douleur du monde avaient disparu, il ne restait plus que leur amour embrasé qui faisait de l’amour à jamais, comme le soleil fait de la lumière. Et cette minute-là compensa toutes leurs larmes passées et futures, tandis que l’immense Paris, à l’horizon, travaillait à l’avenir inconnu, dans le grondement de sa formidable cuve.

À cet instant, Marie entra. Et ce fut très simple, Guillaume se détacha des bras de son frère, l’amena, les força de se donner la main. D’abord, elle eut un geste encore de refus, s’entêtant dans sa loyauté à ne pas reprendre sa parole. Mais que dire en face de ces deux hommes en larmes, qu’elle venait de trouver au cou l’un de l’autre, confondus en une si étroite fraternité ? Est ce que ces larmes, est-ce que cette étreinte n’emportaient pas les raisons ordinaires, les arguments qu’elle tenait prêts ? La gêne même de la situation disparut, il lui sembla qu’elle s’était déjà longuement expliquée avec Pierre, qu’ils étaient d’accord pour accepter ce don de l’amour que Guillaume leur faisait d’un cœur si héroïque. Le vent du sublime soufflait, et rien ne leur paraissait plus naturel que cette extraordinaire scène. Pourtant, elle restait muette, elle n’osait dire sa réponse, les regardant