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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/496

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— Venez vite, dit Massot en entraînant les deux frères.

Surpris de voir le cordon des gardes s’ouvrir si brusquement devant eux, ceux-ci se trouvèrent dans le vaste espace libre. Au sortir de la cohue tumultueuse, il régnait là, sous les petits platanes, une solitude, un silence, d’une tranquillité reposante. La nuit pâlissait, une lueur d’aube commençait à pleuvoir du ciel comme une cendre fine.

Lorsqu’il leur eut fait couper la place de biais, Massot les arrêta près de la prison, en reprenant :

— Moi, je vais entrer, je veux assister au lever et à la toilette… Promenez-vous, regardez, personne ne vous demandera rien. D’ailleurs, je vous rejoindrai.

Il y avait, éparses dans l’ombre, une centaine de personnes, des journalistes, des curieux. Aux deux bords du bout de chaussée pavée qui menait de la porte de la Roquette à la guillotine, on avait posé des barrières, de ces barrières de bois mobiles qui servent à maintenir les queues des théâtres. Des gens, déjà, s’y tenaient accoudés, pour être le plus près possible sur le passage du condamné. D’autres se promenaient lentement, causaient à demi-voix. Et les deux frères s’approchèrent.

La guillotine était là, sous les branches, dans la verdure tendre des premières feuilles. D’abord, ils ne virent qu’elle, éclairée d’une lueur louche par un bec de gaz voisin, dont le jour naissant jaunissait la clarté. On venait d’achever de la monter, à petit bruit, sans qu’on entendît autre chose que de sourds et rares coups de maillet ; et, maintenant, les aides du bourreau, en redingotes, en hauts chapeaux de soie noirs, attendaient, erraient d’un air de patience. Mais elle, quel air de bassesse et de honte, aplatie sur le sol comme une bête immonde, dégoûtée elle-même de la besogne qu’elle allait accomplir ! Quoi ? c’était ça, la machine à venger la société, la machine à faire des exemples ! c’étaient ces quelques poutres