Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/495

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une hâte que la vie fraîche et rouge coulât sous le couteau, pour la voir à terre, pour s’y tremper. Seuls, à cette exécution qui n’était pas celle d’un assassin ordinaire, des hommes muets, aux yeux ardents, passaient, circulaient, dans une visible exaltation de foi, où l’on sentait grandir la folie contagieuse de la vengeance et du martyre.

Guillaume songeait à Victor Mathis, lorsqu’il crut le reconnaître, au premier rang, parmi les curieux que le cordon de gardes maintenait. Il était là, avec sa maigre face imberbe, blême et pincée, forcé de se grandir pour voir, à cause de sa petite taille ; et, près d’une grande fille rousse qui gesticulait, il ne bougeait pas, ne parlait pas, tout à l’attente, les yeux là-bas, des yeux ronds, ardents et fixes d’oiseau de nuit, perçant les ténèbres. Un garde le repoussa brutalement ; mais il revint, patient, saturé de haine, voulant voir quand même pour tâcher de haïr davantage.

Cette fois, lorsque Massot aperçut Pierre sans soutane, il ne s’étonna même pas, lui parla de son air gai :

— Ah ! monsieur Froment, vous avez eu la curiosité de venir voir ça ?

— Oui, j’ai accompagné mon frère. Mais je crains bien que nous ne puissions voir grand’chose.

— Certes, si vous restez là.

Et, tout de suite, obligeamment, en garçon qui aimait à montrer sa puissance de journaliste connu, devant lequel tombaient les consignes :

— Voulez-vous passer avec moi ? Justement, l’officier de paix est mon ami.

Sans attendre la réponse, il arrêta ce dernier, lui parla bas, vivement, en lui contant une histoire, deux de ses confrères qu’il avait amenés, pour des articles. L’officier, d’abord, hésita, se débattit. Puis, il eut un geste las de consentement, dans la sourde crainte que la police a toujours de la presse.