Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/520

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ministre se doubla du sien. N’était-il pas le maître, l’argent, le seul pouvoir stable, éternel, au-dessus des pouvoirs éphémères, de ces portefeuilles de ministre qui passaient si rapidement de main en main ? Monferrand régnait et passerait, Vignon régnerait et passerait, ce Vignon déjà à ses pieds, averti déjà qu’on ne gouvernait pas sans les millions de la finance. N’était-ce donc pas lui le seul triomphateur, qui achetait cinq millions un fils de l’aristocratie, qui incarnait la bourgeoisie devenue souveraine, régnant en roi absolu, maître de la fortune publique et bien résolu à n’en rien lâcher, même sous les bombes. Cette fête devenait la sienne, il s’attablait seul au festin, sans consentir à un nouveau partage, maintenant qu’il avait tout conquis, tout possédé, laissant à regret les miettes de sa table aux petits d’en bas, à ces pauvres diables de travailleurs, que la Révolution, autrefois, avait dupés.

Désormais, l’affaire des Chemins de fer africains était une vieille affaire, enterrée dans une commission, escamotée. Tous ceux qui s’y étaient trouvés compromis, les Dutheil, les Chaigneux, les Fonsègue, tant d’autres, riaient d’aise, délivrés par la forte poigne de Monferrand, exaltés eux aussi dans le triomphe de Duvillard. Et l’ignoble article de Sanier, que la Voix du Peuple avait publié le matin, ces révélations fangeuses, ne comptait même plus, n’obtenait que des haussements d’épaules, tellement le public, nourri de boue, saturé de dénonciations et de calomnies, était las de ces scandales à fracas. Une seule fièvre renaissait, le bruit répandu du prochain lancement de la grande affaire, ce fameux Chemin de fer transsaharien, qui allait remuer les millions et les faire pleuvoir sur les amis fidèles.

Pendant que Duvillard s’entretenait amicalement avec Monferrand et avec Dauvergne, le ministre de l’Instruction publique, qui les avait rejoints, Massot, rencontrant