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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/521

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son rédacteur en chef Fonsègue, lui dit à demi-voix :

— Dutheil vient de m’assurer que leur Transsaharien est prêt et qu’ils vont le risquer à la Chambre. Ils se disent certains du succès.

Mais Fonsègue était sceptique.

— Pas possible, ils n’oseront pas recommencer si vite.

Pourtant, la nouvelle l’avait rendu grave. Il venait d’avoir une si grosse peur, à la suite de son imprudence, avec les Chemins de fer africains, qu’il s’était bien juré de prendre à l’avenir ses précautions. Mais cela n’allait pas jusqu’à refuser les affaires. Il fallait attendre, les étudier, et en être, être de toutes.

Justement, comme il regardait le groupe de Duvillard et des deux ministres, il assista à un racolage de Chaigneux, qui continuait, au travers de la sacristie, son recrutement pour la représentation du soir. Il célébrait Silviane, fouettait les curiosités, annonçait un succès énorme. Et, s’étant approché de Dauvergne, sa longue échine pliée en deux :

— Mon cher ministre, j’ai une requête à vous présenter de la part d’une belle dame, dont la victoire ne sera pas complète, ce soir, si vous ne daignez y joindre votre suffrage.

Dauvergne, joli homme, grand, blond, avec des yeux bleus qui souriaient derrière un binocle, l’écoutait d’un air de bienveillance. Il réussissait beaucoup à l’Instruction publique, bien qu’il ignorât tout de l’Université. Mais, en vrai Parisien de Dijon, comme on disait, il n’était point sans tact ni malice, il donnait des fêtes où sa jeune et délicieuse femme excellait, il passait pour un ami éclairé des écrivains et des artistes. Et l’engagement de Silviane à la Comédie, son œuvre jusqu’ici la plus fameuse, qui aurait coulé tout autre ministre, l’avait, par une singulière aventure, rendu populaire. On trouvait cela inattendu, amusant.