Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/528

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pule de conscience de Fonsègue ; car, si l’article ne passait pas, Silviane était capable de s’en prendre à lui seul et de l’en punir, en lui fermant sa porte encore. Tout de suite, il dut retrouver son air triomphant, il accourut pour baiser sa fille au front, pour serrer la main de son gendre, plaisantant, leur souhaitant, là-bas, des jours agréables. Et ce furent enfin les adieux d’Ève, de laquelle monseigneur Martha était resté, souriant. Elle se montra d’une bravoure attendrissante, elle puisa dans sa volonté d’être belle jusqu’au bout une force dernière, qui lui permit d’être gaie et maternelle.

Elle avait pris la main un peu frémissante et gênée de Gérard, elle osa la garder un instant dans la sienne, très bonne, vraiment héroïque de renoncement.

— Au revoir, Gérard, portez-vous bien, soyez heureux.

Puis, elle se tourna vers Camille, elle la baisa sur les deux joues, tandis que monseigneur les regardait toutes deux, d’un air d’indulgente sympathie.

— Au revoir, ma fille.

— Au revoir, ma mère.

Mais les voix tremblaient, les regards s’étaient croisés avec des lueurs de glaive, et elles avaient senti les dents sous le baiser. Ah ! cette rage de la voir belle toujours, désirable encore, malgré les années et les larmes ! Et l’autre, quelle torture, cette fille jeune, cette jeunesse qui avait fini par la vaincre, et qui lui emportait à jamais son amour ! Le mutuel pardon était impossible, elles s’exécreraient jusque dans la tombe de famille, où elles dormiraient côte à côte, un jour.

Le soir, pourtant, la baronne Duvillard s’excusa de ne pouvoir assister à la représentation de Polyeucte. Elle était lasse, elle voulait se coucher de bonne heure ; et, la tête dans l’oreiller, elle pleura la nuit entière. La loge, une avant-scène de balcon, ne fut donc occupée que par le baron, Hyacinthe, Dutheil et la petite princesse de Harth.