Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/529

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Dès neuf heures, la salle était pleine, cette bourdonnante et éclatante salle des grandes solennités dramatiques. Tout le Paris qui avait défilé le matin dans la sacristie de la Madeleine, se retrouvait là, avec la même fièvre de curiosité, le même désir d’imprévu, d’extraordinaire ; et l’on reconnaissait les mêmes têtes, les mêmes sourires, des femmes qui se saluaient d’un petit signe d’intelligence, des hommes qui se comprenaient d’un mot, d’un geste. Toutes et tous étaient fidèles au rendez-vous, épaules nues, boutonnière fleurie, en une splendeur éblouissante de fête. Fonsègue occupait la loge du Globe, avec deux ménages amis. À l’orchestre, le petit Massot avait son fauteuil habituel. On y voyait aussi le juge d’instruction Amadieu, un des habitués fidèles de la Comédie, ainsi que le général de Bozonnet et l’avocat général Lehmann. Mais Sanier surtout, l’effroyable Sanier, avec son mufle de gros homme apoplectique, était beaucoup regardé, à cause de son article scandaleux du matin. Chaigneux, qui n’avait gardé pour lui qu’un strapontin modeste, battait les couloirs, se montrait à tous les étages, soufflant une dernière fois l’enthousiasme. Et, lorsque, dans l’avant-scène qui faisait face à celle de Duvillard, les deux ministres, Monferrand et Dauvergne, parurent, un frémissement léger courut, les sourires se firent plus intimes et plus amusés, car personne n’ignorait la part qu’ils venaient prendre au succès de la débutante.

Cependant, de mauvais bruits circulaient encore la veille. Sanier avait déclaré que le début de Silviane, d’une catin notoire, à la Comédie-Francaise, et dans ce rôle de Pauline, d’une si haute noblesse morale, était un véritable défi à la pudeur publique. Cette extravagante fantaisie d’une jolie fille avait d’ailleurs longtemps soulevé la presse. Mais on en parlait depuis six mois, et Paris, qui finissait par s’y faire, accourait là, n’ayant plus que son unique besoin d’être distrait. Avant qu’on levât la toile,