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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/539

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Madame Théodore prenait poliment congé de madame Toussaint.

— Eh bien, adieu ! nous nous en allons. C’est triste tout de même, ce qui vous arrive, et nous avons voulu vous dire la peine que çà nous fait. L’ennui, quand le malheur s’en mêle, c’est qu’avec du courage on ne réussit quand même à rien… Céline, viens embrasser ton oncle… Mon pauvre frère, je te souhaite de retrouver tes deux jambes le plus tôt possible.

Elles baisèrent le paralytique sur les joues, elles s’en allèrent. Et Toussaint, qui avait écouté, qui avait regardé, les suivit de ses yeux si vifs, si intelligents encore, comme brûlé du regret et du désir de cette vie, de cette activité où elles retournaient.

Malgré sa belle humeur coutumière, madame Toussaint fut mordue d’une pensée jalouse.

— Ah ! mon pauvre vieux, dit-elle, après avoir mis un oreiller derrière le dos de son homme, en voilà deux qui ont eu plus de chance que nous. Depuis qu’on a coupé la tête à ce fou de Salvat, tout leur réussit. Leur affaire est faite, elles ont du pain sur la planche.

Puis, se tournant vers Pierre et Thomas :

— Tandis que nous autres, nous sommes bien fichus, le nez dans la crotte, sans un espoir de nous en retirer… Que voulez-vous ? nous crèverons de faim, mon pauvre homme n’a pas été guillotiné, il n’a fait que travailler toute sa vie, et vous le voyez, le voilà fini, comme une vieille bête qui n’est plus bonne à rien.

Elle les fit asseoir, elle répondit à leurs questions apitoyées. Le médecin était déjà venu deux fois, et il leur avait promis de rendre la parole au malade, de lui permettre peut-être de faire le tour de la chambre avec une canne. Quant à jamais se remettre sérieusement au travail, il n’y fallait pas compter. Alors, à quoi bon ? Les yeux de Toussaint disaient qu’il aimait mieux mourir