Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout de suite. Lorsqu’un ouvrier ne travaille plus, ne nourrit plus sa femme, il est mûr pour la terre.

— Des économies, reprit-elle, il y a des gens qui me demandent si nous avons des économies… Nous avions près de mille francs à la Caisse d’épargne, lorsque Toussaint a eu sa première attaque. Et l’on ne s’imagine pas ce qu’il faut de sagesse pour mettre de côté une pareille somme, car, enfin, on n’est pas des sauvages, on se donne de temps à autre une petite fête, un bon plat, arrosé d’une bonne bouteille… En cinq mois de chômage forcé, avec les remèdes, avec les viandes saignantes, nous avons mangé les mille francs, et bonté du ciel ! maintenant que ça recommence, nous ne sommes pas près de connaître le vin cacheté et le goût du gigot à la broche.

Ce cri de la commère friande qu’elle avait toujours été, disait plus que ses larmes contenues sa terreur du lendemain. Elle restait debout, brave quand même ; mais quel écroulement, quelle fin du monde, si elle ne pouvait plus tenir sa chambre bien propre, cuisiner le dimanche un morceau de veau à la casserole, attendre le retour de son homme, chaque soir, en causant avec les voisines ! Autant valait-il qu’on les jetât au ruisseau et que le tombereau les emportât !

Thomas intervint.

— Est-ce qu’il n’existe pas un Asile des Invalides du travail, et ne pourrait-on y faire entrer votre mari ? Il me semble que sa place y est toute marquée.

— Ah, ouiche ! dit la femme, on m’en a parlé, j’ai déjà pris mes renseignements. Ils ne prennent pas les malades dans cette maison-là. Quand on y va, ils vous répondent qu’il y a des hôpitaux pour les malades.

Et Pierre, d’un geste découragé, confirma l’inutilité de la démarche. Lui, dans une brusque vision, venait de se revoir battant Paris, courant de la baronne Duvillard, présidente, à l’administrateur général Fonsègue, pour