Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/54

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agonisait, et tous couraient à leurs soucis, à leurs passions, ressaisis par l’engrenage, retombés sous la meule, dans cette ruée de Paris dont la fièvre les charriait, les heurtait en une ardente bousculade, à qui arriverait le premier, en passant sur le corps des autres.

— Alors, maman, demanda Camille, qui continuait à dévisager sa mère et Gérard, tu vas nous mener à la matinée de la princesse ?

— Tout à l’heure, oui… Seulement, je ne pourrai y rester avec vous, j’ai reçu ce matin une dépêche de Salmon, pour mon corsage, et il faut absolument que j’aille l’essayer, à quatre heures.

La jeune fille fut certaine du mensonge, au léger tremblement de la voix.

— Tiens ! je croyais que l’essayage n’était que pour demain… Alors, nous irons te reprendre chez Salmon, avec la voiture, en sortant de la matinée ?

— Ah ! pour cela, non, ma chère ! On ne sait jamais quand on est libre ; et, d’ailleurs, si j’ai un moment, je passerai chez la modiste.

Une sourde rage fit monter une flamme meurtrière aux yeux noirs de Camille. Le rendez-vous était évident. Mais elle ne pouvait, elle n’osait pousser les choses plus loin, dans son besoin passionné d’inventer un obstacle. Elle avait vainement tenté d’implorer Gérard, qui détournait la tête, debout pour partir. Et Pierre, au courant de bien des choses, depuis qu’il fréquentait la maison, eut conscience, à les sentir si frémissants, de l’inavouable drame silencieux.

Allongé dans un fauteuil, achevant de croquer une perle d’éther, la seule liqueur qu’il se permit, Hyacinthe éleva la voix.

— Moi, vous savez que je vais à l’Exposition du Lis. Tout Paris s’y écrase. Il y a surtout là un tableau, le viol d’une âme, qu’il faut absolument avoir vu.