Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/546

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de nouveau son frère ; car elle craignait encore une scène, si son mari rentrait sans la trouver chez elle. Puis, debout, elle s’attarda, elle dit qu’elle avait, elle aussi, vu sa sœur, madame Théodore, et la petite Céline, proprement nippées, heureuses désormais. Et elle conclut à son tour, avec une pointe de jalousie :

— Mon mari, à moi, se contente d’aller tous les matins s’éreinter à son bureau ; jamais il ne se fera couper le cou ; et personne bien sûr ne s’avisera de laisser des rentes à Marcelle et à Lucienne… Enfin, ma chère, ayez du courage, il faut toujours espérer que ça finira bien.

Quand elle s’en fut allée, Pierre et Thomas, avant de partir aussi, pour se rendre à l’usine, voulurent savoir si M. Grandidier, le patron, prévenu du malheur de Toussaint, s’était engagé à lui venir en aide. Il n’avait encore fait qu’une promesse assez vague, ils résolurent donc de lui parler chaudement en faveur du vieux mécanicien, depuis vingt-cinq ans dans la maison. Le pis était qu’un ancien projet de caisse de secours, même de caisse de retraites, mis à l’étude autrefois, avant la crise dont l’usine se relevait, avait sombré au milieu de toutes sortes de complications et d’obstacles. Autrement, Toussaint aurait eu peut-être le droit d’être infirme, sans mourir complètement de faim. Il n’y avait plus d’autre espoir, pour l’ouvrier foudroyé, que dans la charité, sinon dans la justice du patron.

Le petit de Charles s’étant remis à pleurer, madame Toussaint venait de le reprendre dans ses bras ; et elle le promenait de nouveau, lorsque Thomas serra la bonne main du paralytique entre les deux siennes.

— Nous reviendrons, nous ne vous abandonnerons pas. Vous savez bien qu’on vous aime, parce que vous avez été un brave et solide travailleur… Comptez sur nous, nous allons faire tout ce que nous pourrons.

Et ils le laissèrent, dans la chambre morne, les yeux en