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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/547

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larmes, terrassé, bon pour l’abattoir ; tandis que sa femme berçait autour de lui l’enfant criard, un misérable de plus, si lourd aujourd’hui au vieux ménage, et qui, plus tard, crèverait à son tour, de misère et d’injuste travail.

Le travail, le travail manuel, grondant et haletant sous l’effort, Pierre et Thomas le retrouvèrent à l’usine. Les minces tuyaux, sur les toitures, jetaient leurs souffles rythmiques de vapeur, comme s’ils eussent réglé la respiration même de la besogne commune. Et, dans les ateliers divers, c’était un ronflement continu d’activité, tout un peuple d’ouvriers en branle, forgeant, limant, perçant, au milieu du vol des courroies et de la trépidation des machines. La journée s’achevait dans la fièvre d’énergie coutumière, avant que le coup de cloche sonnât le départ.

Quand Thomas demanda M. Grandidier, on lui répondit que le patron n’avait pas reparu depuis le déjeuner ; et il comprit, à cette nouvelle extraordinaire, que quelque lamentable scène devait se passer encore dans le pavillon silencieux, aux persiennes éternellement closes, que l’usinier habitait à l’écart, avec sa jeune femme, folle depuis deux ans, toujours adorablement jolie, et si ardemment aimée, qu’il n’avait jamais voulu se séparer d’elle. Du petit atelier vitré, où Thomas travaillait d’habitude, et où il venait de mener Pierre, pour attendre, on voyait ce pavillon si calme, d’air si heureux, au milieu de grosses touffes de lilas, que des toilettes claires de jeune femme et des rires d’enfants joueurs auraient dû égayer. Et, brusquement, ils crurent entendre un grand cri déchirant ; puis, ce furent des plaintes d’animal battu, toute une agonie violente de bête qu’on égorge. Ah ! ces hurlements, parmi le branle de l’usine en travail, comme scandés par les jets rythmiques de la vapeur, accompagnés par le roulement sourd des machines ! Depuis le récent inventaire, les recettes doublaient, la prospérité