Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/549

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Tout de suite, il voulut parler, combattre, rentrer dans sa vie de labeur.

— Je suis content de vous voir, mon cher Thomas. J’ai songé à ce que vous m’avez dit, pour notre moteur. Il faut en causer encore.

En le voyant si éperdu, le jeune homme eut une inspiration charitable, songea qu’une diversion brusque, le malheur d’un autre, le tirerait peut-être de sa hantise.

— Sans doute, je suis venu me mettre à votre disposition… Mais, auparavant, laissez-moi vous dire que nous sortons de chez Toussaint, ce malheureux foudroyé par la paralysie, et que nous avons le cœur navré d’un si effroyable sort, le dénuement complet, l’abandon au coin de la borne, après tant d’années de travail.

Il fit valoir les vingt-cinq ans que le vieil ouvrier avait passés à l’usine, la justice qu’il y aurait à lui tenir compte de ce long effort, de tout ce qu’il avait donné là de sa vie de brave homme. Il demanda que la maison lui vînt en aide, au nom de l’équité, au nom de la pitié aussi.

— Ah ! monsieur, se permit de dire Pierre à son tour, je voudrais vous emmener un instant dans cette triste chambre, en face de ce misérable être vieilli, usé, écrasé, qui n’a même plus la parole pour crier sa souffrance. Il n’est pas de pire malheur à celui de mourir ainsi, dans la désespérance de toute bonté et de toute justice.

Grandidier, muet, les avait écoutés. Puis, de grosses larmes irrésistibles noyèrent ses yeux. Sa voix trembla, très basse.

— Le pire malheur, le connaît-on ? Qui peut parler du pire malheur, s’il n’a pas souffert le malheur des autres ?… Oui, oui, ce pauvre Toussaint, c’est triste, à son âge, d’en être réduit là, de ne savoir s’il mangera demain. Mais je sais des tristesses aussi grandes, des abominations qui empoisonnent l’existence davantage encore… Ah ! le pain,