Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/562

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joyeux, la vérité passait, l’obscur pressentiment des grandes tendresses qu’un deuil menace ? Guillaume pourtant avait son bon sourire de tous les jours, un peu pâli peut-être, la voix d’une douceur de caresse. Mais jamais Mère-Grand n’avait paru plus muette ni plus grave, à cette table si fraternelle, qu’elle présidait en reine mère, obéie et respectée. Et la crème de Marie eut un joli succès, on la félicita, on la fit rougir. Brusquement, un lourd silence tomba de nouveau, un froid de mort souffla et blêmit les visages, pendant que les petites cuillers achevaient de vider les assiettes.

— Ah ! ce bourdon ! s’écria François, il est vraiment obsédant, on en a la tête grosse, et qui éclate !

La Savoyarde s’était mise à sonner, un son pesant, dont les ondes obstinées s’envolaient sur Paris immense. Tous l’écoutaient.

— Est-ce qu’elle va sonner comme ça jusqu’à quatre heures ? demanda Marie.

— Oh ! à quatre heures, dit Thomas, au moment de la bénédiction, ce sera bien autre chose. La grande volée, le branle d’allégresse, le chant de triomphe !

Guillaume souriait toujours.

— Oui, oui, ceux qui voudront ne pas en avoir les oreilles cassées, feront bien de fermer leurs fenêtres. Le pis est que, si Paris ne veut pas l’entendre, il l’entend tout de même, et jusqu’au Panthéon, m’a-t-on dit.

Mère-Grand restait muette et impassible. Ce qui offensait Antoine, c’était l’abominable imagerie religieuse que les pèlerins s’arrachaient, ces Jésus de bonbonnière, la poitrine ouverte, montrant leur cœur sanguinolent. Rien n’était d’une matérialité plus répugnante, d’une imagination d’art plus basse et plus grossière. Et l’on quitta la table en causant très haut, pour s’entendre, au milieu du retentissement de la grosse cloche.

Tous ensuite se remirent au travail. Mère-Grand reprit