Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/58

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vers de la cohue. Il y avait là des députés surtout, des journalistes, de simples curieux. Et c’était un brouhaha grandissant, de sourdes et violentes conversations, des exclamations, des rires, au milieu d’une gesticulation passionnée.

Le retour de Mège, dans ce tumulte, parut y redoubler le bruit. Il était grand, d’une maigreur d’apôtre, assez mal soigné de sa personne, déjà vieux et usé pour ses quarante-cinq ans, avec des yeux de brûlante jeunesse, étincelants derrière les verres du binocle qui ne quittait jamais son nez mince, en bec d’oiseau. Et il avait toujours toussé, la parole déchirée et chaude, ne vivant que par l’âpre volonté de vivre, de réaliser le rêve de société future dont il était hanté. Fils d’un médecin pauvre d’une ville du Nord, tombé jeune sur le pavé de Paris, il avait vécu sous l’empire de bas journalisme, de besognes ignorées, il s’était fait une première réputation d’orateur dans les réunions publiques, puis, après la guerre, devenu le chef du parti collectiviste par sa foi ardente, par l’extraordinaire activité de son tempérament de lutteur, il avait réussi enfin à entrer à la chambre ; et, très documenté, il s’y battait pour ses idées avec une volonté, une obstination farouche, en doctrinaire qui avait disposé du monde selon sa foi, réglant à l’avance, pièce à pièce, le dogme du collectivisme. Depuis qu’il émargeait comme député, les socialistes du dehors ne voyaient plus en lui qu’un rhéteur, un dictateur au fond, qui ne s’efforçait de refondre les hommes que pour les conquérir à sa croyance et les gouverner.

— Vous savez ce qui se passe ? demanda-t-il à Pierre. Hein ? encore une propre aventure !… Que voulez-vous ? nous sommes dans la boue jusqu’aux oreilles.

Il s’était pris autrefois d’une véritable sympathie pour ce prêtre, qu’il voyait si doux aux souffrants, si désireux d’une régénération sociale. Et le prêtre lui-même avait fini