Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/66

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— Mon Dieu ! expliquait Massot, il est très possible que, cette fois, Sanier ne mente pas et qu’il ait trouvé une liste de noms sur un carnet de Hunter, qui serait tombé entre ses mains… Dans cette affaire des Chemins de fer africains, pour obtenir certains votes, je sais personnellement depuis longtemps que Hunter a été le racoleur de Duvillard. Mais, si l’on veut comprendre, on doit d’abord établir de quelle manière il procédait, avec une adresse, une sorte de délicatesse aimable, qui sont loin des brutales corruptions, des marchandages salissants qu’on suppose. Il faut être Sanier pour imaginer un parlement comme un marché ouvert, où toutes les consciences sont à vendre, où elles s’adjugent au plus offrant, avec impudence. Ah ! que les choses se sont passées autrement, et qu’elles sont explicables, excusables même parfois !… Ainsi, l’article vise surtout Barroux et Monferrand, qui, sans y être nommés, y sont désignés de la façon la plus claire. Vous n’ignorez pas qu’au moment du vote Barroux était à l’Intérieur et Monferrand aux Travaux publics, de sorte que les voilà accusés d’être des ministres prévaricateurs, le plus noir des crimes sociaux. Je ne sais dans quelle combinaison politique Barroux a pu entrer, mais je jure bien qu’il n’a rien mis dans sa poche, car il est le plus honnête des hommes. Quant à Monferrand, c’est une autre affaire, il est homme à se faire sa part ; seulement, je serais très surpris s’il s’était mis dans un mauvais cas. Il est incapable d’une faute, surtout d’une faute bête, comme celle de toucher de l’argent, en en laissant traîner le reçu.

Il s’interrompit, il indiqua d’un mouvement de tête Dutheil, l’air fiévreux et souriant quand même, parmi un groupe qui venait de se former autour des deux ministres.

— Tenez ! ce jeune homme là-bas, le joli brun qui a une barbe si triomphante.