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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/67

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— Je le connais, dit Pierre.

— Ah ! vous connaissez Dutheil. Eh bien ! en voilà un qui a sûrement touché. Mais c’est un oiseau. Il nous est arrivé d’Angoulême pour mener la plus aimable des existences, et il n’a pas plus de conscience ni de scrupules que les gentils pinsons de son pays, toujours en fête d’amour. Ah ! pour celui-là, l’argent de Hunter a été comme une manne qui lui était due, et il ne s’est pas même dit qu’il se salissait les doigts. Soyez sûr qu’il s’étonne qu’on puisse donner à ça la moindre importance.

De nouveau, il désigna un député, dans le même groupe, un homme d’environ cinquante ans, malpropre, l’air éploré, d’une hauteur de perche, et la taille un peu courbée par le poids de sa tête, qu’il avait longue et chevaline. Ses cheveux jaunâtres, rares et plats, ses moustaches tombantes, toute sa face noyée, éperdue, exprimait une continuelle détresse.

— Et Chaigneux, le connaissez-vous ? Non… Regardez-le, et demandez-vous s’il n’est pas tout naturel aussi que celui-ci ait touché… Il est débarqué d’Arras. Il avait là-bas une étude d’avoué. Lorsque sa circonscription l’a envoyé ici, il s’est laissé griser par la politique, il a tout vendu pour venir faire fortune à Paris, où il s’est installé avec sa femme et ses trois filles. Alors, vous vous imaginez son désarroi au milieu de ces quatre femmes, des femmes terribles, toujours dans les chiffons, les courses, les visites à recevoir et à rendre, sans compter la chasse aux épouseurs qui fuient. C’est la malchance acharnée, l’échec quotidien du pauvre homme médiocre, qui a cru que sa situation de député allait lui faciliter les affaires, et qui s’y noie… Et vous ne voulez pas que Chaigneux ait touché, lui qui est toujours en souffrance d’un billet de cinq cents francs ! J’admets qu’il ne fût pas un malhonnête homme. Il l’est devenu, voilà tout.

Massot était lancé, il continua ses portraits, la série