Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/70

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encore, qui s’était mortellement fâché avec Monferrand à la suite d’histoires inconnues, un ancien avocat de Tulle venu à Paris pour le conquérir, et qui l’avait réellement conquis, grâce au grand journal du matin, le Globe, dont il était le fondateur et le directeur. Maintenant, il occupait, avenue du Bois de Boulogne, un luxueux hôtel, et pas une entreprise ne se lançait, sans qu’il s’y taillât royalement sa part. Il avait le génie des affaires, il se servait de son journal comme d’une force incalculable, pour régner en maître sur le marché. Mais quel esprit de conduite, quelle longue et adroite patience, avant d’arriver à son solide renom d’homme grave, gouvernant avec autorité le plus vertueux, le plus respecté des journaux ! Ne croyant au fond ni à Dieu ni à Diable, il avait fait de ce journal le soutien de l’ordre, de la propriété et de la famille, républicain conservateur depuis qu’il y avait intérêt à l’être, mais resté religieux, d’un spiritualisme qui rassurait la bourgeoisie. Et, dans sa puissance acceptée, saluée, il avait une main au fond de tous les sacs.

— Hein ? monsieur l’abbé, voyez où mène la presse. Voilà Sanier et Fonsègue, comparez-les un peu. En somme, ce sont des compères, ils ont chacun une arme, et ils s’en servent. Mais quelle différence dans les moyens et dans les résultats ! La feuille du premier est vraiment un égout, qui le roule, qui l’emporte lui-même au cloaque. Tandis que la feuille de l’autre est certainement du meilleur journalisme qu’on puisse faire, très soignée, très littéraire, un régal pour les gens délicats, un honneur pour l’homme qui la dirige… Et, grand Dieu ! au fond, quelle identité dans la farce !

Massot éclata de rire, heureux de cette moquerie dernière. Puis, brusquement :

— Ah ! voici Fonsègue enfin.

Et il présenta le prêtre, très à l’aise, en riant encore.