Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/104

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émeraude qu’il portait au doigt. Mais, tout de suite, le cardinal le releva.

— Mon cher fils, soyez le bienvenu chez nous… Ma nièce m’a parlé de votre personne avec tant de sympathie que je suis heureux de vous recevoir.

Il s’était assis près de la table, sans lui dire encore de prendre lui-même une chaise, et il continuait à l’examiner, en parlant d’une voix lente, fort polie.

— C’est hier matin que vous êtes arrivé, et bien fatigué, n’est-ce pas ?

— Votre Éminence est trop bonne… Oui, brisé, autant d’émotion que de fatigue. Ce voyage est pour moi si grave !

Le cardinal sembla ne pas vouloir entamer dès les premiers mots la question sérieuse.

— Sans doute, il y a tout de même loin de Paris à Rome. Aujourd’hui, ça se fait assez rapidement. Mais, jadis, quel voyage interminable !

Sa parole se ralentit.

— Je suis allé à Paris une seule fois, oh ! il y a longtemps, cinquante ans bientôt, et pour y passer une semaine à peine… Une grande et belle ville, oui, oui ! beaucoup de monde dans les rues, des gens très bien élevés, un peuple qui a fait des choses admirables. On ne peut l’oublier, même dans les tristes heures actuelles, la France a été la fille aînée de l’Église… Depuis cet unique voyage, je n’ai pas quitté Rome.

Et, d’un geste de tranquille dédain, il acheva sa pensée. À quoi bon des courses au pays du doute et de la rébellion ? Est-ce que Rome ne suffisait pas, Rome qui gouvernait le monde, la ville éternelle qui, aux temps prédits, devait redevenir la capitale du monde ?

Pierre, muet, évoquant en lui le prince violent et batailleur d’autrefois, réduit à porter cette simple soutane, le trouva beau dans son orgueilleuse conviction que Rome se suffisait à elle-même. Mais cette obstination