Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Le cardinal Bergerot est un révolutionnaire.

Cette fois, la surprise de Pierre le rendit un instant muet. Un révolutionnaire, grand Dieu ! ce pasteur d’âmes si doux, d’une charité inépuisable, dont le rêve était que Jésus redescendît sur la terre, pour faire régner enfin la justice et la paix ! Les mots n’avaient donc pas la même signification partout, et dans quelle religion tombait-il, pour que la religion des pauvres et des souffrants devint une passion condamnable, simplement insurrectionnelle ?

Sans pouvoir comprendre encore, il sentit l’impolitesse et l’inutilité d’une discussion, il n’eut plus que le désir de raconter son livre, de l’expliquer et de l’innocenter. Mais, dès les premiers mots, le cardinal l’empêcha de poursuivre.

— Non, non, mon cher fils. Cela nous prendrait trop de temps, et je veux lire les passages… Du reste, il est une règle absolue : tout livre est pernicieux et condamnable qui touche à la foi. Votre livre est-il profondément respectueux du dogme ?

— Je le pense, et j’affirme à Votre Éminence que je n’ai pas entendu faire une œuvre de négation.

— C’est bon, je pourrai être avec vous, si cela est vrai… Seulement, dans le cas contraire, je n’aurais qu’un conseil à vous donner, retirer vous-même votre œuvre, la condamner et la détruire, sans attendre qu’une décision de l’Index vous y force. Quiconque a produit le scandale, doit le supprimer et l’expier, en coupant dans sa propre chair. Un prêtre n’a pas d’autre devoir que l’humilité et l’obéissance, l’anéantissement complet de son être, dans la volonté souveraine de l’Église. Et même pourquoi écrire ? car il y a déjà de la révolte à exprimer une opinion à soi, c’est toujours une tentation du diable qui vous met la plume à la main. Pourquoi courir le risque de se damner, en cédant à l’orgueil de l’intelligence et de la domination ?… Votre livre mon cher fils, c’est encore de la littérature, de la littérature !