Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/109

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D’heure en heure, tout évolue, le monde change.

— Mais ce n’est pas vrai ! s’écria le cardinal ; le monde est immobile, à jamais !… Il piétine, il s’égare, s’engage dans les plus abominables voies ; et il faut, continuellement, qu’on le ramène au droit chemin. Voilà le vrai… Est-ce que le monde, pour que les promesses du Christ s’accomplissent, ne doit pas revenir au point de départ, à l’innocence première ? Est-ce que la fin des temps n’est pas fixée au jour triomphal où les hommes seront en possession de toute la vérité, apportée par l’Évangile ?... Non, non ! la vérité est dans le passé, c’est toujours au passé qu’il faut s’en tenir, si l’on ne veut pas se perdre. Ces belles nouveautés, ces mirages du fameux progrès, ne sont que les pièges de l’éternelle perdition. À quoi bon chercher davantage, courir sans cesse des risques d’erreur, puisque la vérité, depuis dix-huit siècles, est connue ?… La vérité, mais elle est dans le catholicisme apostolique et romain, tel que l’a créé la longue suite des générations ! Quelle folie de le vouloir changer, lorsque tant de grands esprits, tant d’âmes pieuses en ont fait le plus admirable des monuments, l’instrument unique de l’ordre en ce monde et du salut dans l’autre !

Pierre ne protesta plus, le cœur serré, car il ne pouvait douter maintenant qu’il avait devant lui un adversaire implacable de ses idées les plus chères. Il s’inclinait, respectueux, glacé, en sentant passer sur sa face un petit souffle, le vent lointain qui apportait le froid mortel des tombeaux ; tandis que le cardinal debout, redressant sa haute taille, continuait de sa voix têtue, toute sonnante de fier courage :

— Et si, comme ses ennemis le prétendent, le catholicisme est frappé à mort, il doit mourir debout, dans son intégralité glorieuse… vous entendez bien, monsieur l’abbé, pas une concession, pas un abandon, pas une lâcheté !