Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/112

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cœur !… Mais, d’abord, qu’elle me permette de lui offrir un petit cadeau.

Boccanera l’écoutait gravement. Il l’avait beaucoup connu autrefois, lorsqu’il allait passer les étés à Frascati, dans la villa princière que la famille y possédait, une habitation reconstruite au seizième siècle, un merveilleux parc dont la terrasse célèbre donnait sur la Campagne romaine, immense et nue comme la mer. Cette villa était aujourd’hui vendue, et, sur des vignes, échues en partage à Benedetta, le comte Prada, avant l’instance en divorce, avait commencé à faire bâtir tout un quartier neuf de petites maisons de plaisance. Autrefois, le cardinal ne dédaignait pas, pendant ses promenades à pied, d’entrer se reposer un instant chez Santobono qui desservait, en dehors de la ville, une antique chapelle consacrée à sainte Marie des Champs ; et le prêtre occupait là, contre cette chapelle, une sorte de masure à demi ruinée, dont le charme était un jardin clos de murs, qu’il cultivait lui-même, avec une passion de vrai paysan.

— Comme tous les ans, reprit-il en posant le panier sur la table, j’ai voulu que Votre Éminence goûtât mes figues. Ce sont les premières de la saison que j’ai cueillies pour elle ce matin. Elle les aimait tant, quand elle daignait les venir manger sur l’arbre ! Et elle voulait bien me dire qu’il n’y avait pas de figuier au monde pour en produire de pareilles.

Le cardinal ne put s’empêcher de sourire. Il adorait les figues, et c’était vrai, le figuier de Santobono était réputé dans le pays entier.

— Merci, mon cher curé, vous vous souvenez de mes petits défauts… Voyons, que puis-je faire pour vous ?

Il était tout de suite redevenu grave, car il y avait entre lui et le curé d’anciennes discussions, des façons de voir contraires, qui le fâchaient. Santobono, né à Nemi, en plein pays farouche, d’une famille violente dont l’aîné était mort d’un coup de couteau, avait professé de tout