Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/141

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un cube cyclopéen où les colonnes, les balcons, les frontons, les sculptures s’entassent, tout un monde démesuré, enfanté en un jour d’orgueil par la folie de la pierre. Et c’était là, en face, un peu plus haut, avant d’arriver à la villa Bonaparte, que se trouvait le petit palais du comte Prada.

Lorsqu’il eut payé son cocher, Pierre resta embarrassé un instant. La porte étant ouverte, il avait pénétré dans le vestibule ; mais il n’y apercevait personne, ni concierge ni serviteur. Il dut se décider à monter au premier étage. L’escalier, monumental, à la rampe de marbre, reproduisait en petit les dimensions exagérées de l’escalier d’honneur du palais Boccanera ; et c’était la même nudité froide, tempérée par un tapis et des portières rouges, qui tranchaient violemment sur le stuc blanc des murs. Au premier étage, se trouvait l’appartement de réception, haut de cinq mètres dont il aperçut deux salons en enfilade, par une porte entre-bâillée, des salons d’une richesse toute moderne, avec une profusion de tentures, de velours et de soie, de meubles dorés, de hautes glaces reflétant l’encombrement fastueux des consoles et des tables. Et toujours personne, pas une âme, dans ce logis comme abandonné, où la femme ne se sentait pas. Il allait redescendre, pour sonner, quand un valet se présenta enfin.

— Monsieur le comte Prada, je vous prie.

Le valet considéra en silence ce petit prêtre et daigna demander :

— Le père ou le fils ?

— Le père, monsieur le comte Orlando Prada.

— Bon ! montez au troisième étage.

Puis, il voulut bien ajouter une explication.

— La petite porte, à droite sur le palier. Frappez fort pour qu’on vous ouvre.

En effet, Pierre dut frapper deux fois. Ce fut un petit vieux très sec, d’allure militaire, un ancien soldat du comte resté à son service, qui vint lui ouvrir, en disant,