Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/143

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Puis, regardant Pierre bien en face, il s’écria de sa voix restée sonore, malgré ses soixante-dix ans :

— Enfin, c’est donc vous, mon cher monsieur Froment, et nous allons pouvoir causer tout à notre aise… Tenez ! prenez cette chaise, asseyez-vous devant moi.

Mais il avait remarqué le regard surpris que le prêtre jetait sur la nudité de la chambre. Il ajouta gaiement :

— Vous me pardonnerez de vous recevoir dans ma cellule. Oui, je vis ici en moine, en vieux soldat retraité, désormais à l’écart de la vie… Mon fils me tourmente encore pour que je prenne une des belles chambres d’en bas. À quoi bon ? je n’ai aucun besoin, je n’aime guère les lits de plume, car mes vieux os sont accoutumés à la terre dure… Et puis, j’ai là une si belle vue, toute Rome qui se donne à moi, maintenant que je ne peux plus aller à elle !

D’un geste vers la fenêtre, il avait caché l’embarras, la légère rougeur dont il était pris, chaque fois qu’il excusait son fils de la sorte, sans vouloir dire la vraie raison, le scrupule de probité, qui le faisait s’entêter dans son installation de pauvre.

— Mais c’est très bien ! mais c’est superbe ! déclara Pierre, pour lui faire plaisir. Je suis si heureux de vous voir enfin, moi aussi ! si heureux de serrer vos mains vaillantes qui ont accompli tant de grandes choses !

D’un nouveau geste, Orlando sembla vouloir écarter le passé.

— Bah ! bah ! tout cela, c’est fini, enterré… Parlons de vous, mon cher monsieur Froment, de vous si jeune qui êtes le présent, et parlons vite de votre livre qui est l’avenir… Ah ! votre livre, votre « Rome nouvelle », si vous saviez dans quel état de colère il m’a jeté d’abord !

Il riait maintenant, il prit le volume qui se trouvait justement sur la table, près de lui ; et, tapant sur la couverture, de sa large main de colosse :

— Non, vous ne vous imaginez pas avec quels sursauts