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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/151

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— Eh bien ! et ce ministère ?

Elle s’était assise, elle ne se pressa pas, regarda les journaux qui traînaient sur la table.

— Oh ! rien n’est fait encore, la presse a parlé trop vite. Sacco a été appelé par le président du conseil, et ils ont causé. Seulement, il hésite beaucoup, il craint de n’avoir aucune aptitude pour l’Agriculture. Ah ! si c’étaient les Finances !… Et puis, il n’aurait pris aucune résolution sans vous consulter. Qu’en pensez-vous mon oncle ?

D’un geste violent, il l’interrompit.

— Non, non, je ne me mêle pas de ça !

C’était, pour lui, une abomination, le commencement de la fin, ce rapide succès de Sacco, un aventurier, un brasseur d’affaires qui avait toujours pêché en eau trouble. Son fils Luigi, certes, le désolait. Mais, quand on pensait que Luigi, avec son intelligence vaste, ses qualités si belles encore, n’était rien, tandis que ce Sacco, ce brouillon, ce jouisseur sans cesse affamé, après s’être glissé à la Chambre, se trouvait en passe de décrocher un portefeuille ! Un petit homme brun et sec, avec de gros yeux ronds, les pommettes saillantes, le menton proéminent, toujours dansant et criant, d’une éloquence intarissable, dont toute la force était dans la voix, une voix admirable de puissance et de caresse ! Et insinuant, et profitant de tout, séducteur et dominateur !

— Tu entends, Stefana, dis à ton mari que le seul conseil que j’aie à lui donner est de rentrer petit employé aux Postes, où il rendra peut-être des services.

Ce qui outrait et désespérait le vieux soldat, c’était un tel homme, un Sacco, tombé en bandit à Rome, dans cette Rome dont la conquête avait coûté tant de nobles efforts. Et, à son tour, Sacco la conquérait, l’enlevait à ceux qui l’avaient si, durement gagnée, la possédait, mais pour s’y délecter, pour y assouvir son amour effréné du pouvoir. Sous des dehors très câlins, il était résolu à dévorer tout. Après la victoire, lorsque le butin se trouvait là, chaud