Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/155

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empli sa vie. Lui-même finit par souhaiter le divorce, tellement la souffrance d’une pareille situation devenait insupportable.

— Ah ! mon ami, je n’ai jamais si bien compris la fatalité de certains antagonismes, et comment, avec le cœur le plus tendre, la raison la plus droite, on peut faire son malheur et celui des autres !

Mais la porte s’ouvrit de nouveau, et cette fois, sans avoir frappé, le comte Prada entra. Tout de suite, après un salut rapide au visiteur qui s’était levé, il prit doucement les mains de son père, les tâta, en craignant de les trouver trop chaudes ou trop froides.

— J’arrive à l’instant de Frascati, où j’ai dû coucher, tellement ces constructions interrompues me tracassent. Et l’on me dit que vous avez passé une nuit mauvaise.

— Eh ! non, je t’assure.

— Oh ! vous ne me le diriez pas… Pourquoi vous obstinez-vous à vivre ici, sans aucune douceur ? Cela n’est plus de votre âge. Vous me feriez tant plaisir en acceptant une chambre plus confortable, où vous dormiriez mieux !

— Eh ! non, eh ! non… Je sais que tu m’aimes bien, mon bon Luigi. Mais, je t’en prie, laisse-moi faire au gré de ma vieille tête. C’est la seule façon de me rendre heureux.

Pierre fut très frappé de l’ardente affection qui enflammait les regards des deux hommes, pendant qu’ils se contemplaient, les yeux dans les yeux. Cela lui parut infiniment touchant, d’une grande beauté de tendresse, au milieu de tant d’idées et d’actes contraires, de tant de ruptures morales, qui les séparaient.

Et il s’intéressa à les comparer. Le comte Prada, plus court plus trapu, avait bien la même tête énergique et forte, plantée de rudes cheveux noirs, les mêmes yeux francs, un peu durs dans une face d’un teint clair, barrée d’épaisses moustaches. Mais la bouche différait, une