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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/184

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dans ce sol historique où les générations se superposent, partagée entre les quinze à vingt reconstitutions qu’on a faites du Forum, toutes aussi plausibles les unes que les autres. Pour un simple passant, qui n’est ni un érudit, ni un lettré de profession, qui n’a point relu de la veille l’Histoire romaine, les détails disparaissent, il ne reste, dans ce terrain fouillé de partout, qu’un cimetière de ville où blanchissent les vieilles pierres exhumées, et d’où s’élève la grande mélancolie des peuples morts. De place en place, Pierre voyait la voie Sacrée qui reparaît, tourne, descend, puis remonte, avec son dallage, creusé par la roue des chars ; et il songeait au triomphe, à l’ascension du triomphateur, que son char devait secouer si durement sur ce rude pavé de gloire.

Mais, vers le sud-est, l’horizon s’élargissait encore, et il apercevait la grande masse du Colisée, au delà de l’arc de Titus et de l’arc de Constantin. Ah ! ce colosse dont les siècles n’ont entamé qu’une moitié, comme d’un immense coup de faux, il reste, dans son énormité, dans sa majesté, tel qu’une dentelle de pierre, avec ces centaines de baies vides, béantes sur le bleu du ciel ! C’est un monde de vestibules, d’escaliers, de paliers, de couloirs, un monde où l’on se perd, au milieu d’une solitude et d’un silence de mort ; et, à l’intérieur, les gradins ravinés, mangés par l’air, semblent les degrés informes de quelque ancien cratère éteint, une sorte de cirque naturel, taillé par la force des éléments, en pleine roche indestructible. Seuls, les grands soleils de dix-huit cents ans ont cuit et roussi cette ruine, qui est retournée à l’état de nature, nue et dorée ainsi qu’un flanc de montagne, depuis qu’on l’a dépouillée de la végétation, de toute la flore qui en faisait un coin de forêt vierge. Et, maintenant, quelle évocation, lorsque, sur cette ossature morte, l’imagination remet la chair, le sang et la vie, emplit le cirque des quatre-vingt-dix mille spectateurs qu’il pouvait contenir, déroule les jeux et les combats de l’arène, entasse là une