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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/188

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chez Auguste, en une splendeur unique, qui jamais plus ne devait rayonner avec cet éclat. Il fut vraiment le maître de la terre, les pieds sur le front des peuples conquis et pacifiés, dans une immortelle gloire de littérature et d’art. Il semble qu’en lui se soit satisfaite, à ce moment, la vieille et âpre ambition de son peuple, les siècles de conquête patiente qu’il avait mis à être le peuple roi. C’est le sang romain, c’est le sang d’Auguste qui rougeoie enfin au soleil, en pourpre impériale. C’est le sang d’Auguste, divin, triomphal, absolu souverain des corps et des âmes, ce sang d’un homme auquel aboutit la longue hérédité de sept siècles d’orgueil national, et d’où une postérité d’universel orgueil, innombrable et sans fin, va descendre à travers les âges. Car, dès lors, c’en était fait, le sang d’Auguste devait renaître et battre dans les veines de tous les maîtres de Rome, en les hantant du rêve, éternellement recommencé, de la possession du monde. Un instant, le rêve a été réalisé, Auguste, empereur et pontife, a possédé l’humanité, l’a tenue dans sa main, tout entière sans réserve, ainsi qu’une chose à lui. Et, plus tard, après la déchéance, lorsque le pouvoir s’est scindé, a été de nouveau partagé entre le roi et le prêtre, les papes n’ont pas eu d’autre passionné désir, d’autre politique séculaire, que de vouloir reconquérir l’autorité civile, la totalité de la domination, le cœur brûlé par le sang atavique, le flot rouge et dévorateur du sang de l’ancêtre.

Puis, Auguste mort et son palais fermé, consacré, devenu un temple, Pierre voyait sortir du sol le palais de Tibère. C’était à cette place même, sous ses pieds, sous ces beaux chênes verts qui l’abritaient. On le rêvait solide et grand, avec des cours, des portiques, des salles, malgré l’humeur assombrie de l’empereur, qui vécut loin de Rome, au milieu d’un peuple de délateurs et de débauchés, le cœur et le cerveau empoisonnés par le pouvoir jusqu’au crime, jusqu’aux accès des plus extraordinaires