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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/211

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Les flabelli agitaient, au-dessus de la tête du pontife unique et souverain, les grands éventails de plume, qu’on balançait autrefois devant les idoles de la Rome antique. Et, autour de la chaise de triomphe, quelle cour éblouissante et glorieuse ! toute la famille pontificale, le flot des prélats assistants, les patriarches, les archevêques, les évêques, drapés et mitrés d’or ! les camériers secrets participants en soie violette, les camériers de cape et d’épée participants, portant le costume de velours noir, avec la fraise et la chaîne d’or ! L’innombrable suite, ecclésiastique et laïque, dont cent pages de la Gerarchia n’épuisent pas l’énumération, les protonotaires, les chapelains, les prélats de toutes les classes et de tous les degrés, sans compter la maison militaire, les gendarmes avec le bonnet à poil, les gardes palatins en pantalon bleu et tunique noire, les gardes suisses cuirassés d’argent, rayés de jaune, de noir et de rouge, les gardes nobles superbes d’apparat dans leurs hautes bottes, leur culotte de peau blanche, leur tunique rouge brodée d’or, les épaulettes d’or et le casque d’or ! Mais, depuis que Rome était la capitale de l’Italie, les portes ne s’ouvraient plus à deux battants, on les fermait au contraire avec un soin jaloux ; et, les rares fois où le pape descendait officier encore, se montrer comme l’élu suprême, Dieu incarné sur la terre, la basilique ne se remplissait plus que d’invités, il fallait pour entrer une carte. Ce n’était plus le peuple, les cinquante mille, les soixante mille chrétiens accourant, s’entassant, au hasard du flot ; c’était un choix, des assistants amis, triés pour des solennités particulières et fermées ; et même, lorsqu’on arrivait à en réunir des milliers, il n’y avait toujours là qu’un public restreint, convié au spectacle d’un concert monstre.

Et Pierre, de plus en plus, à mesure qu’il parcourait ce musée froid et majestueux, parmi l’éclat dur des marbres, était pénétré de cette sensation qu’il se trouvait là dans un temple païen, élevé au dieu de la lumière