Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ont grandi, car ils se la sont transmise sans arrêt, de civilisation en civilisation. C’est une végétation continue de la vanité humaine, le besoin d’inscrire son nom sur un mur, de laisser de soi, après avoir été le maître de la terre, une trace indestructible, la preuve tangible de toute cette gloire d’un jour, l’édifice éternel de bronze et de marbre qui en témoignera jusqu’à la fin des âges. Au fond, il n’y a là que l’esprit de conquête, l’ambition fière de la race, toujours en peine de la domination du monde ; et, lorsque tout a croulé, lorsqu’une société nouvelle renaît des ruines, et qu’on peut la croire guérie de l’orgueil, retrempée dans l’humilité, ce n’est encore qu’une erreur, elle a le vieux sang en ses veines, elle cède de nouveau à la folie insolente des ancêtres, livrée à toute la violence de l’hérédité, dès qu’elle est grande et forte. Il n’est pas un pape illustre qui n’ait voulu bâtir, qui n’ait repris la tradition des Césars, éternisant leur règne dans la pierre, se faisant élever des temples à leur mort, pour passer au rang des dieux. Le même souci d’immortalité terrestre éclate, c’est à qui léguera le monument le plus grand, le plus solide, le plus magnifique ; et la maladie est si aiguë que ceux, moins fortunés, qui, ne pouvant construire, ont dû se contenter de réparer, se sont plu à transmettre aux générations la mémoire de leurs travaux modestes, en faisant sceller des plaques de marbre, gravées d’inscriptions pompeuses : de là la continuelle rencontre de ces plaques, pas une muraille consolidée sans qu’un pape l’ait timbrée de ses armes, pas une ruine rétablie, pas un palais remis en état, pas une fontaine nettoyée, sans que le pape régnant signe l’œuvre de son titre romain de Pontifex Maximus. C’est une hantise, une involontaire débauche, la floraison fatale de ce terreau fait de décombres, depuis plus de deux mille ans. Des monuments sans cesse remontent de cette poussière de monuments. Et l’on se demande si Rome a jamais été chrétienne, dans cette perversion dont le vieux sol romain