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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/233

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Narcisse n’avait pas levé les yeux vers la splendeur foudroyante du plafond. Abîmé d’extase, il ne quittait pas du regard Botticelli, qui a là trois fresques. Enfin, il parla, d’un murmure.

— Ah ! Botticelli, Botticelli ! l’élégance et la grâce de la passion qui souffre, le profond sentiment de la tristesse dans la volupté ! Toute notre âme moderne devinée et traduite, avec le charme le plus troublant qui soit jamais sorti d’une création d’artiste !

Stupéfait, Pierre l’examinait. Puis, il se hasarda à demander :

— Vous venez ici pour voir Botticelli ?

— Mais certainement, répondit le jeune homme d’un air tranquille. Je ne viens que pour lui, pendant des heures, chaque semaine, et je ne regarde absolument que lui… Tenez ! étudiez donc cette page : Moïse et les filles de Jéthro. N’est-ce pas ce que la tendresse et la mélancolie humaines ont produit de plus pénétrant ?

Et il continua, avec un petit tremblement dévot de la voix, de l’air du prêtre qui pénètre dans le frisson délicieux et inquiétant du sanctuaire. Ah ! Botticelli, Botticelli ! la femme de Botticelli, avec sa face longue, sensuelle et candide, avec son ventre un peu fort sous les draperies minces, avec son allure haute, souple et volante, où tout son corps se livre ! Les jeunes hommes, les anges de Botticelli, si réels, et beaux pourtant comme des femmes, d’un sexe équivoque, dans lequel se mêle la solidité savante des muscles à la délicatesse infinie des contours, tous soulevés par une gamme de désir dont on emporte la brûlure ! Ah ! les bouches de Botticelli, ces bouches charnelles, fermes comme des fruits, ironiques ou douloureuses, énigmatiques en leurs plis sinueux, sans qu’on puisse savoir si elles taisent des puretés ou des abominations ! Les yeux de Botticelli, des yeux de langueur, de passion, de pâmoison mystique ou voluptueuse, pleins d’une douleur si profonde, parfois, dans