Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/234

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leur joie, qu’il n’en est pas au monde de plus insondables, ouverts sur le néant humain ! Les mains de Botticelli, si travaillées, si soignées, ayant comme une vie intense, jouant à l’air libre, s’unissant les unes aux autres, se baisant et se parlant, avec un souci tel de la grâce, qu’elles en sont parfois maniérées, mais chacune avec son expression, toutes les expressions de la jouissance et de la souffrance du toucher ! Et, cependant, rien d’efféminé ni de menteur, partout une sorte de fierté virile, un mouvement passionné et superbe soufflant, emportant les figures, un souci absolu de la vérité, l’étude directe, la conscience, tout un véritable réalisme que corrige et relève l’étrangeté géniale du sentiment et du caractère, donnant à la laideur même la transfiguration inoubliable du charme !

L’étonnement de Pierre grandissait, et il écoutait Narcisse, dont il remarquait pour la première fois la distinction un peu étudiée, les cheveux bouclés, taillés à la florentine, les yeux bleus, presque mauves, qui pâlissaient encore dans l’enthousiasme.

— Sans doute, finit-il par dire, Botticelli est un merveilleux artiste… Seulement, il me semble qu’ici Michel-Ange…

D’un geste presque violent, Narcisse l’interrompit.

— Ah ! non, non ! ne me parlez pas de celui-là ! Il a tout gâché, il a tout perdu. Un homme qui s’attelait comme un bœuf à la besogne, qui abattait l’ouvrage ainsi qu’un manœuvre, à tant de mètres par jour ! Et un homme sans mystère, sans inconnu, qui voyait gros à dégoûter de la beauté, des corps d’hommes tels que des troncs d’arbres, des femmes pareilles à des bouchères géantes, des masses de chair stupides, sans au-delà d’âmes divines ou infernales !… Un maçon, et si vous voulez, oui ! un maçon colossal, mais pas davantage !

Et, inconsciemment, chez lui, dans ce cerveau de moderne las, compliqué, gâté par la recherche de l’original