Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/253

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pins et les eucalyptus, les oranges mûres, les grands buis amers ! Pan tout entier l’y enveloppait des effluves souverains de sa virilité. Comme il faisait bon de vivre là, parmi cette magnificence du ciel et de la terre, et d’y aimer la beauté de la femme, et de s’y réjouir dans la fécondité universelle ! Brusquement éclatait cette vérité décisive que, de ce pays de lumière et de joie, n’avait pu pousser qu’une religion temporelle de conquête, de domination politique, et non la religion mystique et souffrante du Nord, une religion d’âme.

Mais Narcisse emmenait le jeune prêtre, en lui contant encore des histoires, la bonhomie parfois de Léon XIII, qui s’arrêtait pour causer avec les jardiniers, les questionnait sur la santé des arbres, sur la vente des oranges, et aussi la passion qu’il avait eue pour deux gazelles, envoyées en cadeau d’Afrique, de jolies bêtes fines qu’il aimait à caresser, et dont il avait pleuré la mort. D’ailleurs, Pierre n’écoutait plus ; et, quand ils se retrouvèrent tous deux sur la place Saint-Pierre, il se retourna, il regarda une fois encore le Vatican.

Ses yeux étaient tombés sur la porte de bronze, et il se rappela que, le matin, il s’était demandé ce qu’il y avait derrière ces panneaux de métal, garnis de gros clous à tête carrée. Et il n’osait se répondre encore, il n’osait décider si les peuples nouveaux, avides de fraternité et de justice, y trouveraient la religion attendue par les démocraties de demain ; car il n’emportait qu’une impression première. Mais combien cette impression était vive et quel commencement de désastre pour son rêve ! Une porte de bronze, oui ! dure et inexpugnable, murant le Vatican sous ses lames antiques, le séparant du reste de la terre, si solidement, que rien n’y était plus entré depuis trois siècles. Derrière, il venait de voir renaître les anciens siècles, jusqu’au seizième, immuables. Les temps s’y étaient comme arrêtés, à jamais. Rien n’y bougeait plus, les costumes eux-mêmes des gardes suisses, des gardes nobles, des prélats,