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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/258

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point que l’idée de se rallier au régime nouveau ne lui était pas même venue. Avec ça, l’orgueil démesuré du Romain, la paresse mêlée d’une sagacité, d’un sens pratique du réel, toujours en éveil ; et, dans le charme doux et finissant de sa race, dans son continuel besoin de femme, des coups de furieux désir, une sensualité fauve qui parfois se ruait.

— Mon pauvre Dario, qu’il aille en voir une autre, je le lui permets, ajouta très bas Benedetta, avec son beau sourire. N’est-ce pas ? il ne faut point demander l’impossible à un homme, et je ne veux pas qu’il en meure.

Et, comme Pierre la regardait, dérangé dans son idée de la jalousie italienne, elle s’écria, toute brûlante de son adoration passionnée :

— Non, non, je ne suis pas jalouse de ça. C’est son plaisir, ça ne me fait pas de peine. Et je sais très bien qu’il me reviendra toujours, qu’il ne sera plus qu’à moi, à moi seule, quand je le voudrai, quand je le pourrai.

Il y eut un silence, le salon s’emplissait d’ombre, l’or des grandes consoles s’éteignait, une mélancolie infinie tombait du haut plafond obscur et des vieilles tentures jaunes, couleur d’automne. Bientôt, par un hasard de l’éclairage, un tableau se détacha, au-dessus du canapé où la contessina était assise, le portrait de la jeune fille au turban, si belle, Cassia Boccanera, l’ancêtre, l’amoureuse et la justicière. De nouveau, la ressemblance frappa le prêtre, et il pensa tout haut, il reprit :

— La tentation est la plus forte, il vient toujours une minute où l’on succombe, et tout à l’heure, si je n’étais pas entré…

Violemment, Benedetta l’interrompit.

— Moi, moi !… Ah ! vous ne me connaissez pas. Je serais mort, plutôt.

Et, dans une exaltation dévote extraordinaire, toute soulevée d’amour, et comme si la foi superstitieuse eût embrasé en elle la passion jusqu’à l’extase :