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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/259

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— J’ai juré à la Madone de donner ma virginité à l’homme que j’aimerai, seulement le jour où il sera mon mari, et ce serment, je l’ai tenu au prix de mon bonheur, je le tiendrai au prix de ma vie même… Oui, Dario et moi, nous mourrons s’il le faut, mais la sainte Vierge a ma parole, et les anges ne pleureront pas dans le ciel.

Elle était là tout entière, d’une simplicité qui pouvait d’abord paraître compliquée, inexplicable. Sans doute elle cédait à cette singulière idée de noblesse humaine que le christianisme a mise dans le renoncement et la pureté, toute une protestation contre l’éternelle matière, les forces de la nature, la fécondité sans fin de la vie. Mais, en elle, il y avait plus encore, un prix d’amour inestimable donné à la virginité, un cadeau exquis, d’une joie divine, qu’elle voulait faire à l’amant élu, choisi par son cœur, devenu le maître souverain de son corps, dès que Dieu les aurait unis. Pour elle, en dehors du prêtre, du mariage religieux, il n’y avait que péché mortel et abomination. Et, dès lors, on comprenait sa longue résistance à Prada, qu’elle n’aimait pas, sa résistance désespérée et si douloureuse à Dario, qu’elle adorait, mais à qui elle ne voulait s’abandonner qu’en légitime union. Et quelle torture, pour cette âme enflammée, que de résister à son amour ! Quel continuel combat du devoir, du serment fait à la Vierge, contre la passion, cette passion de sa race, qui, parfois, comme elle l’avouait, soufflait chez elle en tempête ! Tout ignorante et indolente qu’elle fût, capable d’une éternelle fidélité de tendresse, elle exigeait d’ailleurs le sérieux, le matériel de l’amour. Aucune fille n’était moins qu’elle perdue dans le rêve.

Pierre la regardait, sous le crépuscule mourant, et il lui semblait qu’il la voyait, qu’il la comprenait pour la première fois. Sa dualité s’accusait dans les lèvres un peu fortes et charnelles, les yeux immenses, noirs et sans fond, et dans le visage si calme, si raisonnable,