Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/273

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Nani, qui ne le quittait pas des yeux depuis le commencement de la solennité, étudiant ses moindres impressions, de l’air curieux d’un homme en train de se livrer à une expérience.

Il s’était rapproché, il dit :

— Elle est superbe, cette bannière, et quelle joie pour Sa Sainteté d’être si bien peinte, en compagnie de cette jolie Sainte Vierge !

Puis, comme le jeune prêtre ne répondait pas, devenu pâle, il ajouta avec un air de dévote jouissance italienne :

— Nous aimons beaucoup Lourdes à Rome, c’est si délicieux, cette histoire de Bernadette !

Et ce qui se passa alors fut si extraordinaire, que Pierre en resta longtemps bouleversé. Il avait vu, à Lourdes, des spectacles d’une idolâtrie inoubliable, des scènes de foi naïve, de passion religieuse exaspérée, dont il frémissait encore d’inquiétude et de douleur. Mais les foules se ruant à la Grotte, les malades expirant d’amour devant la statue de la Vierge, tout un peuple délirant sous la contagion du miracle, rien, rien n’approchait du coup de folie qui souleva, qui emporta les pèlerins, aux pieds du pape. Des évêques, des supérieurs de congrégation, des délégués de toutes sortes s’étaient avancés pour déposer près du trône les offrandes qu’ils apportaient du monde catholique entier, la collecte universelle du denier de saint Pierre. C’était l’impôt volontaire d’un peuple à son souverain, de l’argent, de l’or, des billets de banque, enfermés dans des bourses, dans des aumônières, dans des portefeuilles. Et des dames vinrent ensuite qui tombaient à genoux, pour tendre les aumônières de soie ou de velours, qu’elles avaient brodées. Et d’autres avaient fait mettre sur les portefeuilles le chiffre en diamants de Léon XIII. Et l’exaltation devint telle, un instant, que des femmes se dépouillèrent, jetèrent leurs porte-monnaie, jusqu’aux sous qu’elles avaient sur elles. Une, très belle, très brune, mince et grande, arracha sa montre de