Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/274

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son cou, ôta ses bagues, les lança sur le tapis de l’estrade. Toutes auraient arraché leur chair, pour sortir leur cœur brûlant d’amour, le jeter aussi, se jeter entières, sans rien garder d’elles. Ce fut une pluie de présents, le don total, la passion qui se dépouille en faveur de l’objet de son culte, heureuse de n’avoir rien à elle qui ne soit à lui. Et cela au milieu d’une clameur croissante, des vivats qui avaient repris, des cris d’adoration suraigus, tandis que des poussées de plus en plus violentes se produisaient, tous et toutes cédant à l’irrésistible besoin de baiser l’idole.

Un signal fut donné, Léon XIII se hâta de descendre du trône et de reprendre sa place dans le cortège, pour regagner ses appartements. Des gardes suisses maintenaient énergiquement la foule, tâchaient de dégager le passage, au travers des trois salles. Mais, à la vue du départ de Sa Sainteté, une rumeur de désespoir avait grandi, comme si le ciel se fût refermé brusquement, devant ceux qui n’avaient pu s’approcher encore. Quelle déception affreuse, avoir eu Dieu visible et le perdre, avant de gagner son salut, rien qu’en le touchant ! La bousculade fut si terrible, que la plus extraordinaire confusion régna, balayant les gardes suisses. Et l’on vit des femmes se précipiter derrière le pape, se traîner à quatre pattes sur les dalles de marbre, y baiser ses traces, y boire la poussière de ses pas. La grande dame brune, tombée au bord de l’estrade, venait de s’y évanouir, en poussant un grand cri ; et deux messieurs du comité la tenaient, afin qu’elle ne se blessât point, dans l’attaque nerveuse qui la convulsait. Une autre, une grosse blonde, s’acharnait, mangeait des lèvres, éperdument, un des bras dorés du fauteuil, où s’était posé le pauvre coude frêle du vieillard. D’autres l’aperçurent, vinrent le lui disputer, s’emparèrent des deux bras, du velours, la bouche collée au bois et à l’étoffe, le corps secoué de gros sanglots. Il fallut employer la force pour les en arracher.