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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/298

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rayée par les mille petites raies d’encre des fenêtres. Puis, çà et là, au hasard, c’étaient la mare stagnante du Pincio, la villa Médicis dressant son double campanile, le fort Saint-Ange d’un ton de vieille rouille, le clocher de Sainte-Marie-Majeure brûlant comme un cierge, les trois églises de l’Aventin assoupies parmi les branches, le palais Farnèse avec ses tuiles vieil or, cuites par les étés, les dômes du Gesù, de Saint-André de la Vallée, de Saint-Jean des Florentins, et des dômes, et des dômes encore, tous en fusion, incandescents dans la fournaise du ciel. Et Pierre, alors, sentit de nouveau son cœur se serrer devant cette Rome violente, dure, si peu semblable à la Rome de son rêve, la Rome de rajeunissement et d’espoir, qu’il avait cru trouver le premier matin, et qui s’évanouissait maintenant, pour faire place à l’immuable cité de l’orgueil et de la domination, s’obstinant sous le soleil jusque dans la mort.

Tout d’un coup, seul là-haut, Pierre comprit. Ce fut comme un trait de flamme qui le frappa, dans l’espace libre, illimité, d’où il planait. Était-ce la cérémonie à laquelle il venait d’assister, le cri fanatique de servage dont ses oreilles bourdonnaient toujours ? N’était-ce pas plutôt la vue de cette ville couchée à ses pieds, comme la reine embaumée, qui règne encore, parmi la poussière de son tombeau ? Il n’aurait pu le dire, les deux causes agissaient sans doute. Mais la clarté fut complète, il sentit que le catholicisme ne saurait être sans le pouvoir temporel, qu’il disparaîtrait fatalement, le jour où il ne serait plus roi sur cette terre. D’abord, c’était l’atavisme, les forces de l’Histoire, la longue suite des héritiers des Césars, les papes, les grands pontifes, dans les veines desquels n’avait cessé de couler le sang d’Auguste, exigeant l’empire du monde. Ils avaient beau habiter le Vatican, ils venaient des maisons impériales du Palatin, du palais de Septime-Sévère, et leur politique, à travers tant de siècles, n’avait jamais poursuivi que le rêve de