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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/299

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la domination romaine, tous les peuples vaincus, soumis, obéissant à Rome. En dehors de cette royauté universelle, de la possession totale des corps et des âmes, le catholicisme perdait sa raison d’être, car l’Église ne peut reconnaître l’existence d’un empire ou d’un royaume que politiquement, l’empereur ou le roi étant de simples délégués temporaires, chargés d’administrer les peuples, en attendant de les lui rendre. Toutes les nations, l’humanité avec la terre entière sont à l’Église, qui les tient de Dieu. Si elle n’en a pas aujourd’hui la réelle possession, c’est qu’elle cède devant la force, obligée d’accepter les faits accomplis, mais sous la réserve formelle qu’il y a usurpation coupable, qu’on détient injustement son bien, et dans l’attente de la réalisation des promesses du Christ, qui, au jour fixé, lui rendra pour jamais la terre et les hommes, la toute-puissance. Telle est la véritable cité future, la Rome catholique, souveraine une seconde fois. Rome fait partie du rêve, c’est à Rome aussi que l’éternité a été prédite, c’est le sol même de Rome qui a donné au catholicisme l’inextinguible soif du pouvoir absolu. Aussi était-ce pour cela que le destin de la papauté se trouvait lié à celui de Rome, à ce point qu’un pape hors de Rome ne serait plus un pape catholique. Et Pierre, accoudé à la mince rampe de fer, penché de si haut au-dessus du gouffre, où la ville morne et dure achevait de s’émietter sous l’ardent soleil, en resta épouvanté, sentit tout d’un coup passer dans ses os le grand frisson des êtres et des choses.

Une évidence se faisait. Si Pie IX, si Léon XIII avaient résolu de s’emprisonner dans le Vatican, c’était qu’une nécessité les clouait à Rome. Un pape n’est pas le maître d’en sortir, d’être ailleurs le chef de l’Église. De même, un pape, quelle que soit son intelligence du monde moderne, ne saurait trouver en lui le droit de renoncer au pouvoir temporel. Il y a là un héritage inaliénable, dont il a la défense ; et c’est en outre une question de vie qui s’impose,