Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/304

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Les matins qu’il restait au palais Boccanera, sans sortir, Pierre avait pris l’habitude de passer des heures dans l’étroit jardin abandonné, que terminait autrefois une sorte de loggia à portique, d’où l’on descendait au Tibre par un double escalier. Aujourd’hui, c'était là un coin de solitude délicieuse, qui sentait bon les oranges aigres, des orangers centenaires dont les lignes symétriques indiquaient seules le dessin primitif des allées, disparues sous les herbes folles. Et il y retrouvait aussi l’odeur des buis amers, de grands buis poussés dans l’ancien bassin central, que des éboulis de terre avaient comblé.

Par ces matinées d’octobre, si lumineuses, d’un charme si tendre et si pénétrant, on y goûtait une infinie douceur de vivre. Mais le prêtre y apportait sa rêverie du Nord, le souci de la souffrance, son âme de continuelle fraternité apitoyée, qui lui rendait plus douce la caresse du clair soleil, dans cet air de voluptueux amour. Il allait s’asseoir contre la muraille de droite, sur un fragment de colonne renversée, à l’ombre d’un laurier énorme, dont l’ombre était noire, d’une fraîcheur balsamique. Et, à côté de lui, dans l’antique sarcophage verdi, où des faunes lascifs violentaient des femmes, le mince filet d’eau qui tombait du masque tragique, scellé au mur, mettait la continuelle musique de sa note de cristal. Il lisait les journaux, ses lettres, toute une correspondance du bon abbé Rose, qui le tenait au courant de son œuvre, les misérables du Paris sombre, déjà glacé par les brouillards,